Tout savoir sur la colocation
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Dans « l’Auberge espagnole », le réalisateur Cédric Klapisch met en scène de sympathiques étudiants de nationalités diverses qui bénéficient du programme « Erasmus » et partagent un grand appartement barcelonais, tout en disposant chacun de sa propre chambre. Au cinéma, cela s’appelle une comédie romantique. Juridiquement, c’est une colocation. Plus qu’une solution de dépannage, la colocation est devenue un mode de vie, en raison de la flambée des prix de l’immobilier. On estime qu’aujourd’hui plus de 2 millions de personnes l’ont adoptée. L’article 8-1 de la loi du 6 juillet 1989 (modifiée sur les baux d’habitation) définit la colocation comme une « location d’un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale et formalisée par plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur ». Son statut paraît simple. En réalité, il n’est pas clairement défini et son analyse oblige à jongler avec la loi de 1989 et les textes du Code civil en les combinant.
I. LA FORMATION DU CONTRAT
A. Un seul ou plusieurs contrats ?
Il faut tout d’abord noter que les baux conclus avec des époux, ou des partenaires liés par un PACS ne sont pas concernés par la colocation.
La définition assez large donnée par l’article 8-1 ouvre au propriétaire le choix entre la conclusion de plusieurs contrats, soit un acte séparé par colocataire, et un contrat unique avec l’ensemble des copreneurs.
Plus rarement, et avec l’accord impératif du propriétaire, le locataire titulaire d’un bail principal peut conclure des contrats de sous-location des chambres de l’immeuble. Cette solution est à déconseiller, car elle est source de conflits notamment lorsque le contrat prend fin.
Que le choix se porte sur un bail unique ou sur une pluralité de baux, le statut est régi par la Loi no 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
Attention : seul le titre I bis de la loi du 6 juillet 1989 s’applique aux locaux meublés, ce qui est fréquemment le cas en matière de colocation.
Dans les deux cas (contrat unique ou plusieurs contrats), l’article 3 de la loi de 1989 exige que le bail soit écrit : il s’agit donc d’un contrat formel.
La pluralité de contrats (un par colocataire) présente l’avantage de la simplicité : en définitive, son régime est celui d’un bail d’habitation classique dans les rapports entre le bailleur et le preneur.
L’avantage premier est bien entendu celui de la solidarité entre les colocataires : si l’un d’entre eux se montre défaillant dans le paiement des loyers, les autres seront tenus pour l’intégralité des loyers qu’il n’aurait pas réglés, sauf pour eux à trouver un nouveau colocataire à bref délai.
Le bail unique rend les démarches administratives plus faciles puisque le propriétaire ne gère qu’un seul contrat.
Si le propriétaire opte pour des baux individuels, chaque colocataire est responsable de sa propre part de loyer et de charges.
L’avantage principal est celui de la flexibilité, notamment lorsque l’un des colocataires quitte le bien ou en cas d’arrivée d’un nouveau membre.
Des difficultés sont également susceptibles de se poser quant à la gestion des espaces communs, de leur entretien, ainsi que des paiements de la quote-part d’électricité et d’eau.
Lorsque la colocation est formalisée par la conclusion de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur, elle constitue une division du logement tenue au respect des articles L. 126-17, L. 126-18 et L. 126-21 du code de la construction et de l’habitation, qui constituent autant de contraintes administratives.
Le premier de ces textes est relatif à l’interdiction de diviser certains immeubles : il en est notamment ainsi de ceux frappés d’une interdiction d’habiter ou d’un arrêté de péril, de ceux dont la superficie est inférieure à 14 m² et 33 m², de ceux qui ne sont pas pourvus d’un système d’alimentation en eau potable ou d’électricité.
Les deux autres textes concernent les autorisations nécessaires pour réaliser certains travaux ou l’interdiction de diviser les locaux de grande hauteur qui ont donné lieu à un avis défavorable de la commission de sécurité.
B. Le contenu du contrat
Aux termes de l’article 3 de la loi du 6 juillet 1989, le contrat de location doit comporter les mentions suivantes à peine de nullité :
-. Le nom ou la dénomination du bailleur et son domicile ou son siège social ainsi que, le cas échéant, ceux de son mandataire ;
-. Le nom ou la dénomination du locataire ;
-. La date de prise d’effet et la durée ;
-. La consistance, la destination ainsi que la surface habitable de la chose louée, définie par le code de la construction et de l’habitation ;
-. La désignation des locaux et équipements d’usage privatif dont le locataire a la jouissance exclusive et, le cas échéant, l’énumération des parties, équipements et accessoires de l’immeuble qui font l’objet d’un usage commun, ainsi que des équipements d’accès aux technologies de l’information et de la communication ;
-. Le montant du loyer, ses modalités de paiement ainsi que ses règles de révision éventuelle ;
-. Le montant et la date de versement du dernier loyer appliqué au précédent locataire, dès lors que ce dernier a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail ; que le bailleur opte pour un contrat unique ou pour une pluralité de contrats, il lui appartiendra de diviser le montant global du loyer par le nombre de preneurs, en tenant compte, le cas échéant, des différences de superficie entre les parties dédiées à chacun d’entre eux ;
-. La nature et le montant des travaux effectués dans le logement depuis la fin du dernier contrat de location ou depuis le dernier renouvellement du bail ;
-. Le montant du dépôt de garantie, si celui-ci est prévu.
On a vu que l’avantage du contrat unique pour l’ensemble des colocataires était de les rendre solidaires les uns des autres. L’article 1313 du Code civil précise à cet effet que la solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette.
Cependant, il ressort de l’article 1310 du même code que la solidarité ne se présume pas. Elle doit être expressément précisée. Il est donc fondamental d’insérer dans le contrat de location une clause de solidarité stipulant que si un colocataire ne paie pas sa part de loyer ou endommage le logement, les autres seront tenus responsables chacun pour l’intégralité des loyers impayés ou du coût des dommages.
On ne saurait qu’inciter les propriétaires à faire appel à un professionnel du droit pour obtenir des conseils quant à la rédaction de la clause ou pour la rédiger, car l’expérience montre que la clause de solidarité est une source fréquente de contestation entre les colocataires, en particulier lorsque l’un d’entre eux quitte le logement avant la fin du bail.
Pour cette même raison, et toujours en cas de bail unique, il est nécessaire de préciser les conditions de sortie d’un colocataire, tenant au préavis, aux modalités de remplacement, à la restitution de sa part de dépôt de garantie…
Le bailleur doit également être extrêmement prudent et ne pas omettre de préciser clairement les responsabilités financières de chaque partie, c’est-à-dire le loyer, les dépôts de garantie et les charges.
Les aspects pratiques ne doivent pas être négligés : il est conseillé de prévoir les modalités d’utilisation des espaces communs, la répartition des tâches ménagères et la gestion des conflits, même si ces derniers éléments peuvent être formalisés par un pacte de colocation (cf_infra)
Reste la question des garanties, c’est-à-dire, pour l’essentiel, de la caution.
Lorsqu’il n’existe qu’un seul contrat pour tous les colocataires, il résulte de la loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 que la caution ne peut être demandée que pour un seul d’entre eux, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de caution solidaire pour plusieurs locataires.
Le montant maximal du dépôt de garantie ne peut excéder un mois de loyer hors charges.
La question des aides au logement ne diffère pas selon que le contrat est un bail « classique » ou une colocation : les colocataires sont habiles à bénéficier des aides de la CAF sous les conditions habituelles, à savoir que le logement soit décent et respecte des normes d’habitabilité, ainsi que sous des conditions de ressources.
Enfin, il est nécessaire que le contrat prévoie un mécanisme de « subrogation personnelle » selon lequel le départ d’un colocataire et le remplacement par un autre sera subordonné à l’accord exprès du propriétaire.
II. L’EXECUTION DU CONTRAT
A. Les obligations du bailleur
En premier lieu, l’obligation principale du propriétaire consiste à mettre à disposition des colocataires un logement décent avec des équipements en état de fonctionnement.
L’article 6 de la loi de 1989 et le décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 en fixent les critères.
Sans entrer dans le détail, le logement doit disposer d’une pièce principale ayant soit une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 m, soit un volume habitable au moins égal à 20 m², ce qui sera toujours le cas en matière de colocation puisque par définition, le bien loué constituera une habitation assez vaste pour être divisée.
Plus important, le bailleur est tenu à un certain nombre d’obligations de sécurité. C’est ainsi que les dispositifs de retenue des personnes, comme les gardes corps des fenêtres, doivent être en bon état. Pour leur part, les matériaux de construction, des canalisations et des revêtements ne doivent pas présenter de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des occupants.
Les réseaux et branchements d’électricité et de gaz et les équipements de chauffage et de production d’eau chaude doivent être en bon état, la puissance électrique doit permettre un éclairage suffisant et le fonctionnement des appareils ménagers courants ; une évacuation des zones ménagères doit être prévue et une alimentation en eau potable est impérative.
Les dispositions relatives au chauffage, à la cuisine et aux sanitaires doivent être prises pour que ceux-ci fonctionnent. Il est strictement interdit que les toilettes se situent dans la cuisine et dans la pièce où sont pris les repas.
En deuxième lieu, le bailleur doit prendre en charge les réparations indispensables pour maintenir le logement en état d’être loué. Il doit assumer l’usure du logement et procéder au remplacement des équipements qui ne fonctionnent plus, comme par exemple une chaudière ou un chauffe-eau, sauf à ce que leur mauvais état résulte d’un défaut d’entretien ou d’un usage anormal de la part des colocataires.
Toutefois, le bailleur n’a pas l’obligation de remettre le local à neuf entre chaque colocation, à savoir refaire les sols, les revêtements muraux, ou autres à chaque entrée de nouveaux locataires. La Cour de cassation exige simplement que les locaux soient « propres à l’usage auquel ils sont destinés ».
Elle se montre parfois sévère puisque dans un arrêt de 2005, elle a condamné un bailleur à réparer des volets tout à fait utilisables, mais qui connaissaient des difficultés.
En dernier lieu, le propriétaire a l’obligation d’assurer la tranquillité des locataires et leur jouissance paisible du bien. Cette obligation s’entend des troubles que des tiers pourraient causer, mais aussi que le bailleur pourrait causer lui-même.
B. Les obligations des preneurs
1. Envers le bailleur
Il n’y a pas de différence fondamentale entre la location « classique » et la colocation du point de vue des obligations des copreneurs vis-à-vis du bailleur, qui sont les suivantes :
-. L’obligation de paiement des loyers et des charges aux termes convenus ;
-. L’obligation d’assurer le logement loué contre les risques d’incendie, de dégâts des eaux et d’explosions ;
-. L’obligation d’user paisiblement des locaux loués et de ne pas troubler de manière anormale le voisinage ; on trouvera dans la plupart des baux une clause résolutoire sanctionnant le non-respect de cette obligation.
2. Entre les colocataires
Il ne faut pas perdre de vue que la colocation est un mode de vie entre plusieurs personnes qui a priori ne se connaissent pas ou très peu, et n’ont jamais vécu ensemble et qui n’auront pas nécessairement les mêmes habitudes de vie, alors qu’elles vont cohabiter pendant au minimum une année universitaire.
Il est donc indispensable de formaliser ces règles de vie par la rédaction de ce que l’on peut appeler une charte des colocataires ou un pacte de colocation, qui pourra comporter les stipulations suivantes :
-. Délimitation des parties privatives et communes du logement, ce qui permet de répartir la quote-part des frais et charges incombant à chaque locataire. Très concrètement, les parties privatives seront les chambres, ainsi que les dépendances dont chaque colocataire a un usage exclusif. Les autres parties seront considérées comme communes.
-. Éventuellement, nomination d’un mandataire commun, sans omettre d’en définir le rôle et l’étendue des pouvoirs ;
-. Définition des règles de quorum et de majorité pour les décisions collectives, qui ne supposent pas nécessairement l’unanimité ;
-. Dépenses collectives et dépenses individuelles : il est important de noter sur ce point que les dépenses de loyer, les charges, la redevance audiovisuelle, l’assurance du logement, l’électricité, le gaz, le contrat d’entretien de la chaudière et les frais de réparation et d’entretien des parties communes sont considérés comme des dépenses collectives en cas de contrat unique ;
-. Répartition des tâches ménagères consistant en l’établissement d’un planning hebdomadaire concernant l’entretien des parties communes, la vaisselle, l’aspirateur, la sortie des poubelles, le nettoyage des sanitaires ;
-. Les dispositions de nature à assurer la tranquillité de chaque colocataire (musique, animaux, télévision, tabac) ;
-. Les conditions dans lesquelles chaque colocataire peut recevoir des tiers, ce qui peut, même si la précision paraît extrême, passer par la tenue d’un agenda pour que plusieurs personnes ne visitent pas les copreneurs en même temps ;
-. Le respect de l’intimité de chacun, qui passe, a minima, par l’interdiction de pénétrer dans la chambre d’un autre colocataire sans y avoir été invité ;
-. Enfin, les dispositions relatives à l’hébergement temporaire de personnes qui ne font pas partie de la colocation (amis, membres de la famille).
Sur le plan juridique, la charte de colocation n’a aucune valeur contractuelle et s’analyse comme une sorte de code de bonne conduite qui ne peut donner lieu qu’à un avertissement verbal à celui des colocataires qui ne le respecterait pas. Il est strictement interdit de prévoir des sanctions financières : en aucune manière, les colocataires ne sauraient contraindre celui d’entre eux qui ne respecterait pas la charte à quitter le logement puisque cette prérogative appartient exclusivement au bailleur.
III. LA FIN DU CONTRAT
A. À l’initiative du propriétaire
Aux termes de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, le propriétaire ne peut donner congé que pour la fin du bail et ne dispose pas de la liberté d’y procéder à tout moment. Il ne peut invoquer que l’un des trois motifs suivants :
-. La vente du logement ;
-. La reprise du logement pour l’habiter ;
-.Le motif légitime et sérieux : sous cette dernière expression, l’article 15-1 vise notamment l’inexécution par le locataire de l’une des obligations qui lui incombent comme des retards systématiques dans le paiement des loyers, son comportement vis-à-vis des autres, le fait de ne pas occuper le logement à titre de résidence principale, de refuser la réalisation des réparations locatives, de ne pas respecter l’interdiction de sous-location, ou encore la transformation des lieux sans autorisation. L’expropriation pour cause d’utilité publique du propriétaire est également considérée comme un motif légitime et sérieux.
Le congé doit être délivré au moins 6 mois avant la date d’expiration du bail, et, pour ne pas faire d’erreur, il est généralement conseillé de le signifier, si cela est possible, 8 à 9 mois avant le terme du contrat.
Le congé doit être délivré par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte signifié par un commissaire de justice : dans les deux cas, le délai va commencer à courir à compter de la réception de l’acte.
Attention : il est indispensable de délivrer un congé par colocataire, faute de quoi le bail se poursuit au bénéfice de celui qui ne l’aura pas reçu. Même si un arrêt isolé de 1992 a considéré que le congé délivré par le bailleur à un seul locataire était valable à l’égard de tous, la prudence commande d’adresser un congé à chacun par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte de commissaire de justice.
B. À l’initiative d’un ou plusieurs colocataires
L’article 12 de la loi du 6 juillet 1989 permet aux colocataires de mettre fin au bail à tout moment, sans motiver leur décision. Pour ce faire, ils doivent avertir le bailleur dans un délai de trois mois avant la date de départ. Si l’état de santé de l’un des colocataires ne lui permet plus de demeurer dans les locaux, ce préavis est réduit à un mois. Il en est de même lorsque le changement se situe dans une zone dite « tendue ».
Le congé peut être collectif, ce qui entraîne le départ de l’ensemble des colocataires, qui peuvent tous adresser un seul congé au bailleur.
Le congé peut être individuel : dans ce cas, les autres colocataires restent liés par les clauses et conditions du bail, sauf à ce qu’y figure une clause de solidarité qui a pour effet de maintenir le locataire sortant dans les liens du contrat en l’obligeant, par exemple, au paiement des loyers jusqu’au terme du bail ou lors de son renouvellement.
Il y a bien longtemps que la colocation est pratiquée dans les pays anglo-saxons mais elle est encore assez récente en France et, comme bien souvent, laisse place à de nombreux vides juridiques qu’il appartiendrait au législateur de combler, car le temps de la diminution du prix de l’immobilier n’est pas encore venu. Il est certain qu’à l’heure actuelle, la colocation est très fréquente chez les étudiants, mais aussi chez les jeunes actifs. Et pas seulement. Depuis quelque temps, et petit à petit, on assiste à l’émergence d’un nouveau modèle de colocation, entre seniors et personnes âgées, qui permet de pallier la solitude et l’isolement, véritables fléaux sociaux.
L'auteur
Avocat associé
- Procédure d'appel