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Suspension des loyers et des factures d’électricité, de gaz et d’eau, ce que prévoit l’ordonnance du 25 mars 2020

Le par Maître Nicolas SONNET, CM&B AVOCATS COTTEREAU MEUNIER BARDON SONNET CHEFNEUX et Associés

Lors de son intervention le 13 mars 2020, le Président de la République affirmant “qu’aucune entreprise ne serait livrée au risque de faillite”, annonçait que les petites entreprises verraient leurs factures d’eau, de gaz, d'électricité et leurs loyers suspendus.

L’une des 26 ordonnances adoptées le 25 mars dernier met en application cette mesure que nous allons ici présenter (Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d'eau, de gaz et d'électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l'activité est affectée par la propagation de l'épidémie de covid-19).

Mais après le cafouillage sur le chômage partiel, la parole Présidentielle n'est guère plus tenue s'agissant de l'annonce de suspension des loyers...

- De quoi s'agit-il?

Contrairement à ce qui avait été annoncé par le Président lui-même, la loi ne prévoit pas à proprement parler de “suspension” ou de “report” de paiement, mais paralyse les effets que le fournisseur ou le bailleur pourrait donner à un défaut de paiement.

S’agissant des fournisseurs d’électricité, de gaz ou d’eau: 

Le défaut de paiement ne pourra donc pas entraîner de suspension, d’interruption ou de réduction du service, et encore moins la résiliation du contrat.

Certains fournisseurs (l’essentiel en réalité) doivent accorder le report des échéances de paiement des factures. 

Ce report ne peut donner lieu à des pénalités financières, frais ou indemnités à la charge des personnes précitées.

S’agissant des bailleurs: 

Pas réellement de suspension des loyers, mais en cas de défaut de paiement de loyers ou de charges locatives, les locataires de locaux professionnels ou commerciaux ne peuvent encourir de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d'astreinte, d'exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d'activation des garanties ou cautions.

Les principales fédérations de bailleurs ont appelé leurs membres bailleurs à suspendre les loyers pour l’échéance d’avril et pour les périodes postérieures d’arrêt d’activité imposées par l’arrêté.

- Sur quelle durée la suspension des loyers et factures est-elle possible?

Concernant les loyers: 

Les dispositions s'appliquent aux loyers et charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée.

Pour les factures d’électricité, d’eau et de gaz :

Le report concerne celles exigibles entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 précitée et non encore acquittées. 

Le paiement des échéances ainsi reportées est réparti de manière égale sur les échéances de paiement des factures postérieures au dernier jour du mois suivant la date de fin de l'état d'urgence sanitaire, sur une durée ne pouvant être inférieure à six mois.

- Ces mesures concernent-elles toutes les entreprises?

Si la loi d'habiliation désignait les Mirco-entreprises au sens du Décret du 18 décembre 2008, nouvelle surprise, l'Ordonnance restreint drastiquement la mesure.

L’Ordonnance prévoit deux principaux critères d’éligibilité :

La mesure s’adresse aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation.

Elle est réservée aux petites entreprises, et un Décret doit paraître dans les prochains jours pour préciser cette notion, mais il s’agirait (selon le dossier de presse)  :

Des TPE, indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales de moins de 10 salariés qui font moins d’1 million d’euros de chiffre d’affaires ainsi qu’un bénéfice annuel imposable inférieur à 60 000 euros et qui : 

- subissent une fermeture administrative ;

- ou qui connaissent une perte de chiffre d'affaires de plus de 70% au mois de mars 2020 par rapport au mois de mars 2019.

Le Ministère des finances opère une distinction s’agissant des effets de la mesure de suspension des loyers:

1-  Les entreprises dont l’activité est totalement interrompue (sans arrêté) :

Les loyers et charges seront appelés mensuellement et non plus trimestriellement.

Le recouvrement des loyers et charges est suspendu à partir du 1er avril 2020, et pour les périodes postérieures d’arrêt d’activité imposées par l’arrêté. 

Lorsque l’activité reprendra, ces loyers et charges feront l’objet de différés de paiement ou d’étalements sans pénalité ni intérêts de retard et adaptés à la situation des entreprises en question.

2 - Pour les entreprises dont l’activité a été interrompue par arrêté, ces mesures seront appliquées de façon automatique et sans considérer leur situation particulière.

3 - Concernant les entreprises dont l’activité, sans être interrompue, a été fortement dégradée par la crise, leur situation sera étudiée au cas par cas, avec bienveillance en fonction de leurs réalités économiques.

Notons que les entreprises qui font l’objet d’une procédure collective peuvent bénéficier de ces mesures sur communication d’une attestation du mandataire désigné.

Les critères retenus par le Gouvernement paraissent moins exigeants que ceux qui pourront être mis en avant pour l’application de la force majeure prévue à l’article 1218 du Code civil.

En effet, la force majeure implique que le débiteur soit dans l’impossibilité totale d’honorer son engagement, alors que l’ordonnance reçoit application dès lors que l’activité commerciale est « particulièrement touchée » par les conséquences de l’épidémie ou du confinement.

Le locataire commercial n’aura donc pas à démontrer que le paiement des loyers est rendu impossible par la survenance de l’épidémie de coronavirus mais simplement que son obligation est seulement plus difficile.

L’Ordonnance réserve cependant cette mesure aux seules TPE, privant de nombreuses entreprises de la possibilité de reporter leurs paiement.

- Quel formalisme? La suspension est elle automatique?

Non il n'y a pas sur le plan légal de suspension automatique : 

Les entreprises qui rencontrent des difficultés pour payer leurs factures d’eau, de gaz et d’électricité peuvent adresser sans tarder par mail ou par téléphone une demande de report à l’amiable à leur fournisseur d’eau, de gaz ou d’électricité.

Les locataires doivent également exprimer une demande écrite à leurs bailleurs, mais plusieurs fédérations de bailleurs ont demandé à leurs adhérents de suspendre automatiquement les loyers à compter de l’échéance d’avril.

Conclusion: 

De l'annonce solennelle du 13 mars dernier, il ne reste s'agissant de la suspension des loyers commerciaux, que l'impossiblité pour les bailleurs d'exercer des mesures d'exécution qu'ils auraient été bien en peine de mener à bonne fin compte tenu de la fermeture des tribunaux, et encore cela ne concerne que les TPE en grandes difficultés. 

Au lendemain du discours présidentiel, les juristes s'interrogaient sur la consitutionnalité d'une telle intervention de l'Etat dans des contrats de droit privé... 

L'auteur

Nicolas SONNET

Avocat associé - Barreau de TOURS

DROIT DES SOCIETES, DROIT DU TRAVAIL