La Saint-Valentin et la bague de fiançailles

Le 07 février 2025 par ,

ACTUALITE JURIDIQUE

« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour » assurait Pierre Reverdy dans la revue poétique « Nord-Sud » en 1917. L’histoire ne dit pas à quelle date ce vers a été écrit, mais un malicieux hasard pourrait laisser augurer du 14 février, jour de la Saint-Valentin. Lors de cette « fête des amoureux », les couples échangent des mots doux et des poèmes, des chocolats, des fleurs et des cadeaux. La Saint-Valentin est le jour idéal pour confirmer sa flamme en l’officialisant. Une demande en mariage, et donc de fiançailles exprimée un 14 février, harmonise l’amour au présent et le projette vers un avenir qui n’en devient que plus radieux. Traditionnellement, cette demande se concrétise par un présent, une bague, qui scellera les fiançailles jusqu’au mariage. La période de fiançailles est totalement libre et n’engage comme contrainte que celle des sentiments non maîtrisables. Juridiquement, cependant, les fiançailles s’analysent en une promesse de mariage. En tant que telle, l’on pourrait imaginer qu’à l’instar des autres cadeaux offerts durant cette étape, la bague est soumise à l’article 1088 du Code civil relatif aux donations propter nuptias, qui dispose que « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ». Nul n’est à l’abri d’un « coup de tonnerre dans un ciel serein » de nature à entraîner l’annulation du mariage. L’application de ce texte devrait conduire à la restitution de plein droit de la bague de fiançailles, qu’une analyse littérale conduit à qualifier en donation. C’est simple. Trop simple, car la bague de fiançailles se voit en effet réserver un sort particulier par une jurisprudence dichotome, qui distingue selon qu’elle constitue un bijou de famille ou pas.

La bague de fiançailles est un bijou de famille

Définition : selon le Doyen Jean Carbonnier, une bague de fiançailles peut revêtir le caractère de bijou de famille si elle répond aux critères suivants :

  • Avoir précédemment appartenu à certains des ascendants ou des collatéraux du donateur et s’être transmis de génération en génération ;
  • Posséder une valeur patrimoniale et sentimentale ;
  • Avoir un caractère ostentatoire qui le destine à servir de parure en certaines occasions solennelles : ce dernier critère a été quasiment abandonné par la jurisprudence, qui s’attache surtout au fait que le bijou a été transmis de génération en génération, et à sa valeur sentimentale.

De manière générale, la bague de fiançailles est un bijou de famille si elle est transmise dans la famille de celui des partenaires qui l’a offerte et si sa valeur morale en éclipse la valeur patrimoniale, même si celle-ci est importante.

Dans ce cas, le principe est simple : la bague de fiançailles devra être restituée par la personne qui l’a reçue. Il est néanmoins nécessaire d’insister sur le fait que le caractère familial du bijou revêt un aspect déterminant (Douai, 17 septembre 1985, D. 1986. 301, note J.-P. Langlade).

La bague de fiançailles est un bijou de famille

La bague de fiançailles n’est pas un bijou de famille

Premier principe : la bague de fiançailles est une donation

Il s’agit ici d’une pure application de l’article 1088 du Code civil : en principe, la bague de fiançailles constitue une donation, quand bien même les conditions de forme n’auraient pas été respectées.

Cette règle procède d’une décision de la Cour de cassation, qui a considéré que les libéralités entre concubins étaient régulières et que les règles relatives aux donations entre époux ne leur étaient pas applicables (Civ. 1re, 3 février 1999, no 96-11.946, Bull. civ. I, no 43).

Ce principe a été étendu aux fiançailles.

Second principe : la bague de fiançailles est un présent d’usage

La présomption de donation souffre d’une exception lorsque le bien donné s’analyse en un présent d’usage.

Le présent d’usage se définit comme un cadeau fait à l’occasion de certains événements conformément à un usage et n’excédant pas une certaine valeur (Civ. 1re, 6 décembre 1988, no 87-15.083, Bull. civ. I, no 347 ; D. 1988. IR 301 ;).

Dans un célèbre arrêt de 1952 « Sacha Guitry », la Cour de cassation a précisé les contours du présent d’usage (Civ. 1re, 30 décembre 1952, D. 1953. 161 ; JCP 1953. II. 7475, note J. Mihura ; Gaz. Pal. 1953. 1. 148).

Dans cette affaire, Sacha Guitry avait offert un magnifique bracelet de diamants à son épouse à l’occasion du premier anniversaire de leur mariage, mais l’épouse se rendit coupable d’adultère et le divorce fut prononcé à ses torts ; Guitry revendiqua alors le bracelet en s’appuyant sur l’ingratitude de la donataire et à la suite de la dissolution du mariage, sur le fondement de l’ancien article 267 du Code civil. Cette demande a été rejetée car la Cour de cassation a estimé qu’il n’y avait pas donation mais un présent d’usage, compte tenu de la fortune de l’acteur, dramaturge et cinéaste.

la bague de fiançailles est un présent d’usage

Le présent d’usage doit ainsi présenter deux caractéristiques, à savoir :

  • Être d’une faible importance, qui s’apprécie au regard de la fortune du disposant et de ses disponibilités. Si le présent est d’une importance excessive, il doit être soumis aux règles sur le rapport des donations, car il s’analyse en un don manuel ;
  • Avoir été offert à l’occasion d’événements à caractère social, comme par exemple les fiançailles : la remise du présent doit se faire pour des circonstances particulières.

Dans cette hypothèse, la bague ne donne pas lieu à restitution.

Exceptions au premier principe

La rupture fautive

Si la rupture des fiançailles provient d’une faute du partenaire ayant offert la bague, elle ne sera pas sujette à restitution, certains mauvais esprits l’analysant comme « le prix des larmes », ou, pis encore, en une « compensation » (sic).

Le décès du donateur

En cas de décès du partenaire ayant offert la bague, la remise de celle-ci est considérée comme une donation.

Par conséquent, et spécialement si les fiançailles ont été suivies d’un mariage, le conjoint donataire ne devra pas restituer la bague aux héritiers du prédècédé.

On le voit, les exceptions au principe de restitution sont en définitive assez nombreuses, la pratique des bijoux de famille tendant à se raréfier au profit de bijoux plus personnalisés, ce qui augmente la circulation des présents d’usage. Sans aller jusqu’à la goujaterie du Président américain Lyndon Baynes Johnson, successeur de John Fitzgerald Kennedy, dont la légende raconte que la bague de fiançailles offerte par le texan à sa future épouse avait une valeur de 2,50 Dollars, l’on peut être amené à penser que la bague passera à travers les mailles du filet tendu par le célèbre aphorisme de l’écrivain irlandais Oscar Wilde, qui écrivait « marions nous, et nous ne ferons plus qu’un, c’est à dire moi ».

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