Las Vegas + jeu = Mariage!
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Las Vegas + jeu = Mariage !
Deux époux mariés en 1995 à Paris déposent chacun une requête en divorce en 2009.
Corsant un peu le débat, l’homme imagine d’assigner ensuite son épouse en nullité de leur propre mariage, exposant qu’il a découvert fortuitement qu’elle s’est déjà mariée avec un autre homme en 1981…à Las Vegas, premier mariage existant donc à la date de célebration du second et générant une situation de bigamie.
Et il fait appeler en intervention forcée le « premier époux » avec qui la dame avait eu un enfant en suite de leur périple au Névada…
La Cour d’appel (Versailles, 22 décembre 2017) va considérer, à la demande de l’épouse, que c’est le premier mariage à Las Vegas qui n’est pas valable en France et que la nullité requise du second mariage n’est donc plus encourue.
Pour ce faire elle retient souverainement que le mariage à Las Vegas avait été contracté à titre de simple jeu, soit un « rite sans conséquence » à l’occasion d’un voyage non entrepris dans ce but tel qu’en attestaient les amis de Madame.
La Cour retient encore, plus formellement, que les bans n’avaient pas été publiés et le mariage non retranscrit en France.
Leur enfant né ensuite avait été reconnu sans qu’il soit fait référence à ce « mariage » dans l’acte de naissance.
L’absence d’intention matrimoniale et donc de consentement au mariage, pourtant célébré, condition primordiale au sens de l’article 146 du code civil, était ainsi retenue.
1°) Assez habilement l’époux forme t’il pourvoi en reprochant d’abord au second juge de n’avoir pas relevé d’office la fin de non recevoir (pourtant d’ordre public en matière d’état des personnes) tirée de l’action en nullité, plus de trente ans s’étant écoulés entre le mariage américain et la demande formée par l’épouse (article 184 civ.).
Car l’accueil de la nullité du premier mariage privait l’époux du but poursuivi, en confirmant la validité du second…
2°) Sur le second moyen l’homme reprochait aux juges du fond, assez savoureusement d’ailleurs, qu’en se bornant à énoncer que « les circonstances tant préalables que postérieures à l’événement célébré à Las Vegas, démontrent que leur consentement à mariage faisait défaut », sans rechercher quelle était l’intention des époux au moment de la célébration du mariage, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 146 et 184 du code civil ;
La cour de cassation rend un arrêt de rejet (Civ. 1ère, 19 septembre 2019, n°18-19.665) en rappelant que même d’ordre public, la prescription nécessite d’être soulevée par les parties, les juges du fond ne pouvant suppléer d’office ce moyen, conformément aux disposition de l’article 2247 du code civil.
Sur la recherche d’intention des époux la cour valide l’appréciation souveraine des juges d’appel (cf. supra) ayant considéré qu’à défaut de consentement à mariage l’union ainsi contractée était inopposable.
La solution dégagée est classique sur les deux moyens soulevés.
Mais on comprend que si l’époux n’avait pas «oublié» de conclure lui-même à la prescription de la demande de nullité du premier mariage, le moyen aurait été accueilli et l’action de l’épouse reconnue comme prescrite.
Pour échapper aux effets de son premier mariage ludique au pays du blackjack, l’épouse aurait alors dépendu exclusivement d’une appréciation souveraine sur l’existence de son « intention matrimoniale » pour bénéficier de l’inopposabilité en France de ce mariage qu’elle présentait comme une bouffonerie.
En cas d’échec de sa démonstration et si le juge du fond n’avait pas considéré ce mariage comme un pitrerie sans conséquence, la nullité du premier mariage prescrite et l’inopposabilité en France rejetée, la seconde union aurait pu être mise à néant et l’épouse placée en l’état antérieur à son mariage, sans les effets financiers du divorce, donc…
On ne joue pas à se marier, même à Las Vegas !
Cédric CABANES
Arrêt n°729 du 19 septembre 2019 (18-19.665) – Cour de cassation – Première chambre civile – ECLI:FR:CCASS:2019:C100729
L'auteur
Avocat