Corporate Social Responsibility (responsabilité sociale des entreprises) – Qu'est-ce que cela signifie pour les entreprises ?
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Les entreprises, en particulier les grandes entreprises, sont de plus en plus scrutées par les médias et le public en général pour des questions telles que la corruption, les violations des dispositions en matière de sécurité au travail ou la législation sur la protection de l’environnement. En ce qui concerne leurs propres activités, on peut à peine les critiquer. Cependant, cela devient problématique lorsque ce n’est pas l’entreprise elle-même, mais ses partenaires commerciaux, le mot-clé » chaîne d’approvisionnement « , qui sont visés. Les politiques se sont laisser impressionner par la possibilité d’exercer une telle influence. Au niveau européen, une directive du Parlement européen et du Conseil sur l’indication par certaines entreprises d’« informations non financières et d’informations relatives à la diversité » (« directive RSE ») a été adoptée en la matière, et ce dès 2014.
Dans le cadre du Sommet du G7 de 2015, le gouvernement allemand a même postulé une responsabilité des entreprises des pays du G7 en ce qui concerne les conditions de travail décentes dans les pays émergents et en développement. La loi d’application de la directive RSE, entrée en vigueur en Allemagne le 19 avril 2017, constitue un premier pas législatif dans cette direction, bien que contraignant en vertu du droit européen.
En Allemagne, nous avons franchi une étape supplémentaire : conformément à l’accord de coalition de mars 2018, le gouvernement allemand prône des normes sociales, respectueuses des droits l’homme et écologiques dans les accords commerciaux, les investissements et les partenariats économiques conclus au niveau européen. La CDU/CSU et le SPD sont également convenus de revoir le « plan d’action pour les entreprises et les droits de l’homme ». S’il s’avérait en 2020 qu’un engagement volontaire des entreprises à respecter les normes relatives aux droits de l’homme dans leur chaîne d’approvisionnement n’est pas suffisant, le gouvernement allemand préconisera une réglementation légale, contraignante au niveau national et proactive au niveau européen. Selon des informations, une telle « loi sur l’obligation de diligence raisonnable » instaurerait des obligations de documentation et de déclaration pour les entreprises, désignerait des organes de surveillance tels que les inspections du travail et prévoirait des sanctions.
Cette évolution est très préoccupante. Elle prépare le terrain pour faire passer le postulat précité d’un niveau moral diffus à un niveau légal. Le ministère fédéral du travail et des affaires sociales fait la déclaration suivante à ce sujet :
« Les entreprises sont tenues dans la mesure du possible de mieux connaître le travail des fournisseurs et de leurs sous-traitants afin, par exemple, d’obtenir la meilleure transparence possible sur les conditions de production, de travail et environnementales, d’identifier les risques et de développer des solutions. Lorsque les entreprises opèrent dans des pays où les principes juridiques ne sont pas ou seulement insuffisamment appliqués par l’État concerné, par exemple du fait de l’absence de lois et de contrôles, les entreprises ont une responsabilité particulièrement grande en ce qui concerne le respect des droits de l’homme dans leur domaine d’activité. »
En conséquence, une responsabilité juridique commune à toutes les entreprises « dans la chaîne d’approvisionnement » entraîne une extension, voire une infinité, de la responsabilité des actes préjudiciables commis par des tiers. L’existence de relations contractuelles directes ou même indirectes avec un partenaire contractuel entraînerait plus ou moins simultanément une responsabilité pour le bien-être et le malheur de ses autres partenaires contractuels – et de leurs proches.
Sur le plan politique, cela est voulu. Par exemple, la responsabilité subsidiaire des entreprises pour les salaires minimums impayés des sous-traitants a déjà été consacrée par la loi. Ce à quoi conduit cette évolution – aujourd’hui plutôt éloignée du point de vue juridique – des actions en justice contre les clients de son propre partenaire contractuel transparaît dans des affaires actuelles telles que le procès Kik au TGI de Dortmund ou le procès intenté par les collaborateurs de certaines entreprises de construction pendant la construction du « Mall-of-Berlin » contre le maître d’ouvrage. D’une certaine manière, cela rappelle le phénomène des écoles et des enseignants qui assignent des tâches pédagogiques aux élèves qui en eux-mêmes incombent à leurs parents. Lorsque la politique, pour des raisons de souveraineté de l’Etat, n’est pas en mesure de créer les conditions légales pour le respect des normes souhaitées dans le pays d’origine, l’entrepreneur doit y remédier en exerçant une pression sur ses partenaires contractuels. Ce faisant, les secteurs et les régions sont choisis arbitrairement.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’activité entrepreneuriale ? Le postulat de la responsabilité morale devient progressivement le fondement juridique d’une réclamation. Bien entendu, la question demeure de savoir de quelles mesures d’exécution une entreprise dispose pour faire respecter les « normes » souhaitées par ses partenaires contractuels. Et pourquoi cette responsabilité ne devrait-elle exister que pour le partenaire contractuel dans le « tiers-monde », mais pas dans une localité voisine (comme le montre le cas « Mall-of-Berlin »), est également difficile à justifier. L’activité entrepreneuriale sera donc soumise à des risques supplémentaires.
Cette évolution doit être contrée de manière ferme.
L'auteur
Jan-F. SCHUBERT
Avocat