Lutter contre les discriminations : vers la fin du « délit de faciès ? »
Publié le 20 novembre 2025
Le législateur français a pris conscience depuis longtemps de l’élargissement du panel des attitudes ségrégatives, la première loi en la matière datant de 1956 sur la discrimination syndicale. La France dispose aujourd’hui d’un arsenal répressif impressionnant en matière de discrimination, même si l’on peut se demander s’il sera un jour suffisant.
I. Éléments constitutifs de l’infraction
En langage courant, la discrimination peut être définie comme le fait de séparer un groupe social ou un individu des autres en le traitant plus mal. Le code pénal en donne une définition beaucoup plus précise.
Définition : l’article 225-1 alinéa 1er du code pénal dispose que constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte (…), de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée.
L’alinéa 2 de ce texte est relatif aux discriminations dont sont victimes les personnes morales à travers leurs membres.
A. Les différents types de comportements discriminatoires
1. Les comportements généraux
Le refus de fourniture de biens ou de services : ce texte est d’une application très large puisque par « biens ou services », il faut entendre tout ce qui peut faire l’objet d’une transaction, qui a une valeur pécuniaire, ou bien d’un avantage. Par exemple, l’achat et la vente d’articles dans des magasins, des marchés et d’autres points de vente, ou la fréquentation de restaurants, de cafés, de bars, d’hôtels et de lieux de divertissement tels que des clubs, des cinémas, des théâtres ou des lieux sportifs, tels que des gymnases, des piscines, etc….Sont également inclus l’accès aux services fournis par les banques, établissements de crédit, ou les compagnies d’assurance. Le caractère onéreux ou pas du bien ou du service importe peu : la prévention vise également les prestations opérées à titre gratuit. À titre d’exemple, on peut citer le refus de recevoir des arrhes, de dispenser des prestations médicales ou paramédicales, sachant que le refus peut émaner d’un professionnel ou de son préposé.
L’offre de contracter soumise à une condition discriminatoire : on peut citer l’exemple d’un bailleur qui, disposé à louer un immeuble à deux personnes, a ensuite appris que l’une d’entre elles était atteinte du SIDA. Il s’est autorisé à établir un avenant au contrat prévoyant la fourniture de deux cautions supplémentaires, elles-mêmes tenues de produire chacune trois bulletins de salaire et une fiche d’état-civil. Les preneurs n’ont pas pu fournir ces pièces et ont été contraintes de mettre fin au bail, ce qui a entraîné la condamnation du bailleur du chef de discrimination.
L’entrave à l’exercice normal d’une activité économique quelconque : il s’agit des hypothèses de boycott économique motivées par un critère prohibé. Par « entrave », il ne faut pas entendre interdiction mais simplement le fait de rendre l’activité considérée plus difficile, mais pas impossible. Un cas très connu est celui où le client qui devait recevoir de la marchandise avait exigé que la livraison de celle-ci n’intervienne pas par le truchement d’un transporteur israélien. De manière plus générale, et pour certaines entreprises, la discrimination consistera à inscrire purement et simplement plusieurs fournisseurs sur une « liste noire ».
2. Les comportements propres aux employeurs
Il faut le dire, le monde du travail est le terrain d’élection des comportements ségrégatifs. Ainsi :
Le refus d’embauche ou de stage : celui-ci peut être explicite, et avoir été matérialisé par des propos racistes, ou implicite, si l’entreprise sollicitée avance des motifs fallacieux. Plus simplement, le fait pour un candidat de sexe masculin d’avoir répondu, à la question de savoir s’il était en couple, qu’il vivait avec un homme et s’être vu refuser un stage est constitutif d’une discrimination. Dans un domaine bien longtemps réservé aux hommes, une candidate, chauffeur routier, n’a pas été embauchée car le représentant de l’entreprise lui indiquait qu’il n’engageait pas de femmes, considérant que certaines tâches physiques ne pouvaient être exécutées que par des hommes. Il a été condamné pour discrimination.
Les sanctions discriminatoires : là encore, la Cour de cassation se montre particulièrement sévère. Elle a rendu un arrêt topique en la matière, où elle a estimé pour la première fois que le licenciement d’un salarié en état de burn-out devait être considéré comme discriminatoire en raison de l’état de santé. Il s’agissait d’un salarié qui accusait 25 ans d’ancienneté, et dont le licenciement avait été prononcé huit jours après qu’il ait prévenu son employeur de la forte dégradation de son état de santé en raison de ses conditions de travail. Il avait également informé son employeur que bien qu’atteint d’un burn-out, il souhaitait poursuivre son travail. La Cour de cassation a estimé que le salarié avait bien apporté des éléments factuels démontrant le caractère discriminatoire de la rupture du contrat, alors que l’employeur était totalement carencé sur ce terrain. Dans une autre hypothèse, qui mérite d’être citée, même si on la retrouve dans la plupart des écrits sur la question, a été jugée discriminatoire la suspension d’un entraîneur de football en raison de sa séropositivité. Même s’il ne s’agit pas d’une sanction à proprement parler, ont également été considérés comme discriminatoires les propos tenus à l’encontre d’une salariée concernant la couleur de sa peau par sa supérieure hiérarchique à l’occasion d’un repas de Noël du CSE.
Le licenciement discriminatoire : là encore, il existe de nombreux exemples. Ainsi, une salariée, reconnue travailleuse handicapée, licenciée pour inaptitude, a considéré que son licenciement était discriminatoire en raison de l’absence de mesures prises par l’employeur pour la reclasser ou pour aménager son poste. L’employeur a plaidé la simple omission. La Cour de cassation a estimé que cette prétendue « omission » s’analysait en un refus, et qu’elle pouvait constituer un comportement discriminatoire.
La soumission d’une offre d’emploi ou d’un stage à une condition discriminatoire : la situation est particulière, dans la mesure où le candidat potentiel n’a encore eu aucun contact avec l’employeur lorsqu’il répond à l’offre d’emploi. Par conséquent, le délit est constitué à partir du moment où cette offre d’emploi est publiée. Là encore, les exemples sont nombreux : un employeur a pu ainsi subordonner l’embauche d’un candidat à la possession d’une carte d’électeur. Mieux encore : une agence d’intérim avait publié une offre d’emploi réservée à des hôtesses « BBR » (sic) pour « Bleu-Blanc-Rouge »… La discrimination dans le processus de recrutement, tenant spécialement à l’origine du ou des candidats à un poste, peut être démontrée par l’examen du registre unique du personnel.
3. Les comportements propres aux agents de l’autorité publique
L’article 432-7 du code pénal permet de poursuivre les agents dépositaires de l’autorité publique du chef de discrimination.
La place de ce texte dans le code pénal n’est pas anodine : il figure dans une section intitulée « des abus d’autorité commis contre les particuliers ». Il s’agit des hypothèses de refus de délivrer des documents administratifs, de refus d’indemnité ou d’allocation, d’obtention de carte de séjour, de voter, mais aussi d’inscrire ses enfants à l’école.
B. L’élément intentionnel : la volonté ségrégationniste
1. Les mobiles fondés sur la personne
La volonté discriminatoire peut tout d’abord se manifester par des mobiles relatifs à la personne, dont les traits les distinguent des autres : on parlera alors de profilage facial, même si l’élément susceptible de justifier la discrimination n’est pas toujours apparent.
Il s’agit des personnes handicapées, malades, de la situation de famille, mariées, en concubinage ou célibataires, des mœurs, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre, du refus de se soumettre à un bizutage, de l’âge, du lieu de résidence, du patronyme, ou tout simplement de l’apparence physique.
2. Les mobiles fondés sur la catégorie
Les discriminations peuvent aussi frapper les personnes en raison des catégories auxquelles elles appartiennent.
L’on pense immédiatement à la race, à l’ethnie, à la couleur de peau, mais bien d’autres éléments entrent en ligne de compte.
Le texte vise autant les personnes supposées appartenir à une origine déterminée que censées ne pas en faire partie ; l’exemple type en la matière, pour montrer la bilatéralité du délit, est celui d’une annonce par laquelle l’employeur refusait les personnes « non européennes ou de couleur ».
À côté de ces discriminations par catégorie, il en existe beaucoup d’autres, et qui ne sont pas appréhendables au plan physique.
Il en est tout d’abord ainsi des religions, et il ne semble pas utile de s’étendre sur le sujet puisqu’il ne se passe pas un jour sans que les actualités ne l’abordent.
Mais l’on trouve aussi des discriminations fondées sur les activités syndicales et les opinions politiques, lesquelles ne se confondent pas avec la simple appartenance à un parti.
La situation financière de la France a malheureusement conduit à une nouvelle forme de discrimination : celle fondée sur la vulnérabilité économique, s’appuyant sur la situation financière apparente ou connue du candidat à l’embauche, par exemple ; celui-ci pourrait parfaitement déclarer qu’il est bénéficiaire du RSA et de la CMU : tout refus qui s’appuierait sur ce critère constituerait une discrimination.
En résumé, et pour être complet, la liste des critères de discrimination, qui ne cesse et ne cessera sans doute pas de s’allonger, est actuellement la suivante :
- Sexe ;
- Mœurs ;
- Orientation sexuelle ;
- Identité de genre ;
- Âge ;
- Situation de famille ;
- Grossesse ;
- Caractéristiques génétiques ;
- Particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur ;
- Appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ;
- Opinions politiques ;
- Activités syndicales ou mutualistes ;
- Convictions religieuses ;
- Apparence physique ;
- Nom de famille ;
- Lieu de résidence ;
- Lieu de la domiciliation bancaire ;
- État de santé ;
- Perte d’autonomie ;
- Handicap ;
- Capacité à s’exprimer dans une langue autre que la langue française ;
- Qualité de lanceur d’alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d’alerte.
C. La preuve de l’intention discriminatoire
1. Les modes de preuve de droit commun
En droit pénal, le principe est celui de la liberté de la preuve. Dans le cas des discriminations, il est extrêmement difficile d’obtenir des aveux, le recours au témoignage est aléatoire, mais le fait que pratiquement toute la population possède un « Smartphone » permet des enregistrements de nature audio ou vidéo.
Les attestations sont également utiles et ne peuvent d’ailleurs pas être rejetées par le juge au motif qu’elles ne respecteraient pas les règles de l’article 202 du code de procédure civile qui leur impose d’être rédigées et signées de la main de leur auteur sous peine d’irrecevabilité.
Enfin, le principe, selon lequel le versement au dossier d’éléments de preuve ne saurait être déclaré irrégulier au seul motif que les conditions de leur recueil sont restées incertaines, est applicable en la matière.
2. Le recours au « testing »
Dans la mesure où il n’est pas aisé de faire la preuve de comportements discriminatoires, une méthode, dénommée le « testing » ou encore test de discrimination, qui n’est certes pas nouvelle puisqu’elle date des années 1990, a montré son efficacité.
Il s’agit de comparer les résultats obtenus par deux types de candidats en tous points identiques à une exception près, la caractéristique testée (par exemple l’origine migratoire, le lieu d’habitation, le sexe, etc…) dans le cadre d’un système qui repose sur la sélection.
Par exemple, un couple d’origine africaine se présente accompagné d’un huissier à l’entrée d’une boîte de nuit. Imaginons qu’ils soient refoulés. Quelques minutes plus tard, un couple d’origine indo-européenne, qui fait partie du processus, se présente à l’entrée de cette même boîte de nuit et il est accepté.
Répété plusieurs fois, le comportement de la personne qui sélectionne les entrées est constaté par huissier, ce qui est susceptible de démontrer un comportement discriminatoire permettant de déposer une plainte auprès du procureur de la république, en y ajoutant, si possible, les preuves usuelles.
Initialement utilisé dans les night-clubs ou bar de nuit, le testing se retrouve aujourd’hui en matière d’emploi, de prêt bancaire, de recherche de logement, voire pour inscrire ses enfants dans une école.
II. Répression et prescription de l’infraction
A. Peines et sanctions encourues
L’article 225-2 du code pénal punit toute discrimination commise par une personne physique à l’égard d’une personne physique ou morale de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Les peines complémentaires encourues sont les suivantes :
- L’inéligibilité pour une durée inférieure ou égale à cinq ans, l’interdiction d’exercer toute fonction juridictionnelle, celle d’expert, celle consistant en la représentation et l’assistance en justice. Sauf dispense spécialement motivée, la peine d’inéligibilité est prononcée automatiquement ;
- L’affichage, pour une durée inférieure ou égale à deux mois et/ou la diffusion de la décision ou d’extraits de celle-ci aux frais du condamné ;
- La fermeture définitive ou pour une durée inférieure ou égale à cinq ans d’un ou plusieurs établissements de l’entreprise appartenant au condamné ;
- L’exclusion définitive ou inférieure ou égale à cinq ans de toute participation aux marchés publics ;
- Un stage de citoyenneté.
Pour les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ou mission, la peine est de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article 432-7 du code pénal).
Pour les personnes morales, la peine principale est de 150 000 € d’amende.
Les peines complémentaires encourues sont les suivantes :
- L’interdiction définitive ou inférieure ou égale à cinq ans d’exercer une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales en relation avec l’infraction ;
- La surveillance judiciaire pour une durée inférieure ou égale à cinq ans ;
- La fermeture définitive ou pour une durée inférieure ou égale à cinq ans d’un ou plusieurs établissements en relation avec l’infraction ;
- L’exclusion définitive ou inférieure ou égale à cinq ans de l’accès aux marchés publics ;
- La confiscation de la chose ayant servi à l’infraction ou destinée à la commettre, ou son produit (qui est obligatoire pour les objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement ou dont la détention est illicite) ;
- L’affichage pour une durée inférieure ou égale à deux mois ou la diffusion de la décision ou d’extraits de celle-ci aux frais du condamné.
B. Prescription du délit
Conformément à l’article 8 du code de procédure pénale, le délit se prescrit par six ans à compter du jour où il a été commis.
Qui se souvient encore de la France « Black Blanc Beur », qui avait soulevé la coupe du monde de football en 1998 ? Pourquoi faut-il que chaque année, la communauté LGBTQIA organise une marche des fiertés ? Pire encore, pour quelles raisons se croit-on obligé de dédier une journée de l’année à la Femme ? En filigrane, ces slogans trop facilement récupérés et/ou événements montrent que l’égalité totale est encore une utopie : son entrée dans les mœurs n’est pas pour demain. Que faire alors ? Se rappeler les textes fondamentaux et notamment la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, dont l’article premier dispose que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Se souvenir de son article 6, qui rappelle que tous les citoyens sont égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics selon leur capacité, sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Et faire en sorte de les respecter.
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