L’abandon de famille et la non-représentation d’enfant

Publié le 28 mai 2025

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A l’heure où le maintien de la vie commune et le respect des obligations du mariage volent en éclats, que les cas de divorce se multiplient, l’abandon de famille et la non-représentation d’enfant constituent plus que jamais des sujets d’actualité.

La saisine du juge, qui ne se limite pas au juge aux affaires familiales, s’articule autour de textes complémentaires :

  • le code civil, qui encadre l’intérêt de l’enfant ;
  • le code pénal et son impressionnant arsenal répressif visant à protéger le mineur plutôt que la famille en elle-même en le plaçant au centre des nombreuses infractions qu’il prévoit.

I. L’abandon de famille

A. Élément légal

Définition : l’abandon de famille est « le fait pour une personne de ne pas exécuter une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par le titre IX du livre Ier du code civil, en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation ».

Textes : articles 227-3 et 227-4 du code pénal (ce dernier sur le défaut de notification de changement de domicile par le débiteur d’une créance familiale)

B. Élément matériel

L’abandon de famille est un délit d’abstention qui consiste à ne pas payer pendant plus de deux mois une obligation à caractère familial matérialisée par un titre exécutoire.

S’agissant des titres exécutoires, le texte renvoie très largement au code civil, mais il convient également de se référer aux dispositions du code des procédures civiles d’exécution dont l’article L.111-3 vise, à côté des décisions des juridictions de l’ordre judiciaire lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire, les actes notariés revêtus de la formule exécutoire, les accords par lesquels les époux ont recours au divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil, et les transactions ainsi que les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.

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La notion de titre exécutoire est donc très largement entendue, mais celui-ci doit constater une créance de caractère familial lato sensu : il s’agit des obligations à caractère familial prévues par le code civil, c’est-à-dire les pensions alimentaires des ascendants et descendants, des subsides dus à un enfant naturel dont la filiation n’est pas établie, les contributions aux charges du mariage, les prestations compensatoires dues entre les anciens époux, ou même les dommages et intérêts mis à la charge d’un époux au profit de l’autre, par exemple dans le cadre d’un divorce pour faute prononcé aux torts exclusifs de l’un d’entre eux (article 242 du code civil). Il est à noter qu’un jugement étranger ou un acte notarié étranger revêtu de l’exequatur entre dans le champ d’application du texte.

L’on notera un oubli de taille : le texte ne vise pas les partenaires liés par un PACS, car même si ceux-ci bénéficient d’un devoir d’aide mutuelle et matérielle aux termes de l’article 515-1 du code civil, cette obligation ne repose pas sur un titre exécutoire mais sur une disposition légale.

Ni la majorité de l’enfant, ni la caducité de l’obligation, à condition qu’elle soit postérieure au défaut de paiement, ne remettent en cause l’élément constitutif du délit. En revanche, lorsque l’ordonnance sur mesures provisoires est devenue sans objet par suite de la réconciliation des époux, le créancier n’est plus tenu au paiement postérieurement à cette date et le délit n’est pas constitué.

Le titre ne suffit pas : il doit être exécutoire, c’est-à-dire revêtu de la formule exécutoire.

Le titre doit également être assorti de l’exécution provisoire ou être exécutoire de plein droit à titre provisoire. Cependant, depuis le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, il résulte de l’article 514 du code de procédure civile que l’exécution provisoire est de droit sauf si la loi en dispose autrement. Pour mémoire, cette exécution provisoire concerne également l’indexation.

En revanche, l’article 1149 du code de procédure civile rappelle que ne bénéficient pas de l’exécution de droit à titre provisoire les décisions statuant sur les demandes relatives à la filiation et, en l’occurrence, aux subsides.

Le régime de la prestation compensatoire est particulier puisque l’article 1079 du code de procédure civile énonce en principe que la prestation compensatoire ne peut pas être assortie de l’exécution provisoire.

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La prestation compensatoire ne prend donc effet qu’au jour où le prononcé du divorce a acquis force de chose jugée c’est-à-dire au jour où il est insusceptible d’un recours suspensif d’exécution en application de l’article 500 du code de procédure civile, ou si, étant susceptible d’un tel recours, celui-ci n’a pas été exercé dans le délai.

C. Élément intentionnel

L’élément intentionnel suppose, en premier lieu, la connaissance de la part du débiteur du titre portant obligation familiale. Si la jurisprudence a pu estimer que la simple connaissance en dehors de toute signification était suffisante pour caractériser le délit, il est cependant impératif de faire signifier le titre par un commissaire de justice, en lui faisant, le cas échéant, délivrer un commandement de payer au débiteur. En revanche, le débiteur ne pourra pas arguer de son ignorance de la décision s’il a déjà commencé à payer sans signification préalable.

Le délit est consommé à partir du moment où le débiteur ne s’acquitte pas pendant plus de deux mois consécutifs de l’obligation mise à sa charge.

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Le point de départ du délai de deux mois commence à courir à compter du jour du dernier règlement.

Quoi qu’il en soit, les deux mois doivent être consécutifs comme le suggère également l’emploi de l’adverbe « plus ». Il s’ensuit que de manière critiquable, la répression pénale ne frappe pas le débiteur qui ne paye, par exemple, la pension alimentaire qu’un mois sur deux.

A l’inverse, de simples paiements partiels ne suffisent pas à écarter l’infraction.

De la même manière, la réduction ultérieure de la pension alimentaire ou de l’obligation familiale ne fait pas disparaître le délit commis pour des faits antérieurs à cette réduction.

Sur le plan de l’intention en elle-même, la jurisprudence est très claire depuis 2022 : si la partie poursuivante a la charge de prouver que le prévenu est demeuré, en connaissance de cause, plus de deux mois sans acquitter le montant de la pension alimentaire qu’il a été condamné à payer par décision de justice, il appartient au débiteur, qui se prévaut d’une impossibilité absolue de paiement, d’en rapporter la preuve.

Celle-ci peut résulter :

  • De l’état de santé du débiteur, atteint d’une grave affection cardiaque le mettant dans l’impossibilité absolue de travailler, ce qui l’a privé de ressources et l’a laissé à la charge de ses parents, ce qui a d’ailleurs été analysé en un cas de force majeure ;
  • Lorsque le débiteur se trouve dans l’impossibilité de liquider son patrimoine immobilier qui comprend une indivision successorale et le logement du couple occupé sans droit ni titre par la créancière de l’obligation alimentaire ;
  • En application de l’article 122-3 du code pénal, le prévenu ne doit pas être frappé d’une cause d’irresponsabilité pénale comme la contrainte, qui s’analyse comme une cause de non imputabilité : si la liberté d’action fait suffisamment défaut, le prévenu n’a pas pu engager son libre arbitre et la contrainte lui permet d’échapper aux poursuites.
  • De même, l’article122-1 rend irresponsable le prévenu qui était atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

En revanche, l’impossibilité absolue de paiement ne résulte pas :

  • D’indéniables difficultés financières, alors que la preuve de ce que l’intéressé aurait été dans l’impossibilité absolue de faire face à ses obligations n’est pas rapportée ;
  • De la situation de celui qui bénéficie d’un train de vie élevé provenant de ressources manifestement non déclarées ;
  • Du fait, pour une profession libérale, d’être placée en redressement judiciaire, alors que les sommes impayées ont trait à une période dans laquelle elle n’était pas en cessation des paiements.
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La victime de l’abandon de famille peut bien entendu se constituer partie civile : mais attention, il est admis que la demande ne peut tendre qu’à l’obtention de dommages et intérêts, et en aucun cas au paiement des obligations dont le règlement a fait défaut.

D. Répression et prescription

1. Répression de l’abandon de famille

Le tribunal correctionnel compétent est celui du lieu de commission de l’infraction ou celui du lieu de la résidence du prévenu, ou celui du lieu d’arrestation ou du lieu de détention de ce dernier. En la matière, par exception, le tribunal correctionnel du domicile du créancier de l’obligation impayée est également compétent.

Conformément à l’article 227-3 du code pénal, l’abandon de famille est puni de deux années d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende outre les peines complémentaires prévues par l’article 227-29. L’on notera, parmi celles-ci, la privation des droits civils et de famille, l’interdiction de quitter le territoire pour une durée maximale de cinq ans, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle impliquant des mineurs.

2. Prescription du délit

Le délai de prescription est de six ans à compter de la commission du délit, c’est-à-dire qu’il commence à courir le premier jour suivant l’expiration du deuxième mois au cours duquel l’obligation n’a pas été exécutée.

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II. La non-représentation d’enfant

A. Elément légal

Le délit de non-représentation d’enfant est défini comme « Le fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer ».

Texte : Article 227-5 du Code pénal

B. Elément matériel

L’élément matériel suppose, en réalité, la réunion de deux conditions pour être constitué : d’une part, l’existence d’un droit de réclamer l’enfant et d’autre part, un refus émanant de celui qui doit le représenter.

Faute d’un texte suffisamment précis, il n’est nul besoin de disposer d’une décision judicaire préalable : un fondement légal ou une convention suffisent, même si elle n’est pas revêtue de la formule exécutoire (il est plus que fortement recommandé de la faire apposer). Par suite, le délit s’applique en cas de non-représentation du mineur selon les modalités prévues, par exemple, par une ordonnance sur mesures provisoires quel que soit le type de divorce, une décision modifiant les mesures provisoires dans le cadre de la procédure de divorce, une ordonnance de référé, une convention judiciairement homologuée ou un jugement de divorce. Bien entendu, ces décisions doivent être exécutoires. A titre exceptionnel, l’article 373-2 du Code civil permet au procureur de la république de faire respecter la décision.

Comme pour l’abandon de famille, le titre ne doit pas être frappé de caducité.

Les parents qui sont habiles à réclamer l’enfant sont les titulaires de l’autorité parentale qui est en principe exercée par les deux, sauf hypothèse de retrait (Code civil., article 373-2-1) si l’intérêt de l’enfant le commande.

A noter qu’une assistante maternelle ou un parent peut réclamer l’enfant s’il y est autorisé en vertu d’une décision judiciaire en matière éducative.

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C. Elément moral

La signification de la décision par commissaire de justice est fondamentale car elle entraîne, si l’on peut dire, une présomption de connaissance de la décision. Les modalités de signification prévues aux articles 651 à 659 du code de procédure civile sont si nombreuses et si variées qu’il est bien difficile pour leur destinataire d’en feindre l’ignorance.

Par conséquent, le refus punissable n’est rien d’autre qu’un refus intentionnel, peu important les raisons invoquées.

Dans certains cas, le délit n’est cependant pas constitué :

  • il en va ainsi lorsque la mère a commis une erreur de bonne foi sur les périodes des vacances ;
  • il en est de même lorsque le parent a pu être induit en erreur par une lettre de son conseil, même s’il a été jugé ultérieurement qu’un simple avis donné par un professionnel du droit ne saurait constituer une erreur au sens de l’article 122-3 du code pénal ;
  • de même, en est-il en cas de risque d’enlèvement à l’étranger de la part du père, alors que l’enfant nécessite une surveillance médicale constante ;
  • ou encore face à des risques de perturbation psychologique, en cas de visite du père en maison d’arrêt ;
  • le trop célèbre certificat médical ne sera retenu que s’il est précis et circonstancié ;
  • le refus ou la réticence de l’enfant doit être constitutif de circonstances exceptionnelles

D. Répression-prescription

Le tribunal compétent est celui du lieu où l’enfant aurait dû être représenté.

L’abandon de famille est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, outre les peines complémentaires prévues par l’article131-26 du code pénal. Dans certains cas exceptionnels (enfant détenu depuis plus de 5 jours dans l’ignorance de ceux qui doivent le récupérer ou à l’étranger), la peine est portée à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.

La prescription est de 6 ans à compter de la commission des faits.

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