DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE : GUIDE PRATIQUE À L’ÉGARD DES ENTREPRISES

Le 30 avril 2021 par ,

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ACTUALITE JURIDIQUE

Par Eve Renaud-Chouraqui

Dans une société où la responsabilité des entreprises est de plus en plus exposée, où un devoir de vigilance des entreprises émerge, celles-ci doivent inscrire leur « politique d’achat » dans une logique responsable et loyale au regard de leurs fournisseurs en possible situation de dépendance économique.

L’intérêt tient naturellement dans la gestion du risque associé à une situation de dépendance économique pour l’entreprise, via la mise en œuvre d’actions concrètes qui permettent cette gestion de risque et, par extension, de constituer une documentation spécifique dans l’hypothèse de contentieux ultérieurs.       

1. La dépendance économique c’est quoi ?

La dépendance économique est définie comme l’impossibilité pour une entreprise de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec une autre entreprise.

Si la part du chiffre d’affaires réalisé par le fournisseur avec l’entreprise client est un critère d’analyse du niveau de dépendance économique, ce n’est pas le seul. Sont notamment également pris en compte :

l’importance de l’entreprise cliente dans la commercialisation des produits et services concernés ;

les éventuels facteurs ayant pu aboutir à une concentration des ventes du fournisseur auprès de l’entreprise cliente et notamment la question de savoir si cette concentration est due à un choix stratégique du fournisseur ou à une nécessité technique ;

l’existence d’obstacles juridiques ou factuels empêchant le fournisseur de disposer de solutions de diversification de son activité, tels que l’existence ou non d’une clause d’exclusivité, l’existence de clauses contractuelles limitant la possibilité pour le fournisseur de développer sa clientèle, la durée et l’importance du partenariat avec l’entreprise cliente, etc..

2. Quelles sont les sanctions associées ?

Si la situation de dépendance économique n’est pas, en soi, sanctionnable, il en va autrement de l’exploitation abusive de cette situation.

Cette exploitation abusive est sanctionnée par le code de commerce au travers de deux qualifications juridiques :

A. la pratique anticoncurrentielle[1]:

« Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement et la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en un refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées aux articles L.442-1 à L442-3 ou en accords de gamme ».

En tant que pratique anticoncurrentielle, elle n’est sanctionnable que sous la réserve qu’elle soit susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence.

Les sanctions associées sont lourdes et susceptibles d’impacter fortement l’entreprise déclarée responsable :

via des sanctions civiles:

la nullité du contrat ou de la clause contractuelle incluant une exploitation abusive de l’état de dépendance économique ;

de potentiels dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par l’entreprise victime de la pratique ;

via des sanctions pénales: une peine d’emprisonnement de 4 ans et 75.000 euros d’amende pour la personne physique prenant part à la pratique[2] ;

via des sanctions pécuniaires: une amende civile de l’Autorité de la concurrence d’un montant maximal de 10 % du montant du chiffres d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre[3].

L’entreprise ne pourra voir sa responsabilité exclue que dans l’hypothèse où les pratiques mises en œuvre :

résulteraient de l’application d’un texte législatif ou réglementaire;

auraient pour effet d’assurer un progrès économique et réserveraient aux utilisateurs une partie équitable du profit en résultant, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d’éliminer la concurrence. Par ailleurs de telles pratiques ne doivent pas imposer de restrictions de concurrence, autres que celles qui sont strictement indispensables pour atteindre cet objectif

B. la pratique restrictive de concurrence:

« I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
– D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;
 De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

II. Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels » [4].

Dans ce cadre, la situation de dépendance économique est utilisée comme un critère permettant de qualifier la pratique restrictive de concurrence. L’entreprise se rendant coupable de telles pratiques s’expose à un risque certain, la pratique étant considérée comme étant, de facto, condamnable (sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une possible atteinte au fonctionnement ou à la structure de la concurrence).

Les sanctions associées sont également lourdes et susceptibles d’impacter fortement l’entreprise déclarée responsable :

via des sanctions civiles:

la nullité du contrat ou de la clause illicite, ainsi que la restitution des avantages indus[5];

de possibles dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par l’entreprise victime de la pratique ;

via des sanctions pécuniaires: une amende civile du ministre chargé de l’économie ou du ministère public dont le montant ne peut excéder soit :

5 millions d’euros ;

le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus ;

5% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur de la pratique lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre[6]

3. Comment gérer la dépendance économique de ses fournisseurs ?

Une telle situation et un tel risque peuvent parfaitement être gérés par l’entreprise via la mise en place d’un processus dédié et d’un monitoring constant des fournisseurs en situation de dépendance économique.

Le processus s’articule autour des étapes suivantes :

L’étape 1 consiste à cartographier les fournisseurs

L’étape 2 consiste à les qualifier au regard de leur situation de dépendance à l’égard de l’entreprise cliente.

Des questionnaires aidant à la qualification peuvent parfaitement être mis en place au sein de l’entreprise afin que les équipes opérationnelles en contact avec les fournisseurs puissent réaliser de la remontée d’informations auprès des directions juridiques leur permettant de disposer de tous les éléments de nature à retracer la chronologie de la relation contractuelle[7] ;

L’étape 3 consiste dans la mise en place d’un plan d’actions dédié eu égard au degré de dépendance et à la situation contractuelle du fournisseur (contrat en négociation, contrat en rénégociation ou contrat dont le terme est à prévoir).

En fonction de ces éléments (degré de dépendance et situation contractuelle du fournisseur), il sera notamment possible d’identifier les clauses noires ne pouvant être intégrées dans le contrat (car susceptibles d’être interprétées comme une exploitation abusive de la dépendance économique), de soumettre des clauses pré-établies justifiées par la situation de dépendance économique ou encore de mettre en place un processus de relecture spécifique de certains contrats en cours d’établissement ou de renégociation ou d’accompagner le fournisseur dans la terminaison du contrat (rupture progressive de la relation contractuelle, détermination de la durée du préavis). 

L’étape 4 consiste dans le suivi des actions.

L’ensemble de ce processus permettra de limiter le risque pour l’entreprise et, dans l’hypothèse d’un contentieux futur, d’anticiper la documentation permettant, devant la juridiction, de justifier de l’absence d’exploitation abusive de la dépendance économique du fournisseur concerné.

Le cabinet Haas avocats se tient naturellement à votre disposition afin de vous aider dans la mise en place d’un tel processus et dans la détermination des plans d’actions associés aux situations concrètes rencontrées.

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Fort d’une expérience dans le domaine du droit de la concurrence et de la régulation économique, le cabinet Haas Avocats dispose d’un département entièrement dédié à l’accompagnement de ses clients.

Le Cabinet est naturellement à votre entière écoute pour toutes problématiques que vous pourriez rencontrez.

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[1] Article L 420-2 alinéa 2 du code de commerce

[2] Article L 420-6 du code de commerce.

[3] Article L 464-2 du code de commerce.

[4] Article L 442-1 du code de commerce.

[5] Article L 442-4 du code de commerce.

[6] Article L 442-4 du code de commerce.

[7] Certaines relations contractuelles sont installées depuis de nombreuses années et, avec le temps et les évolutions des effectifs de l’entreprise, il est parfois difficile de retracer la chronologie et de disposer d’une « mémoire » de la relation contractuelle.

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