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Aspects juridiques de la crise sanitaire du COVID-19 et ses conséquences pour la saison d'hiver 2020-2021 en montagne

Le par Maître Stéphanie BAUDOT, EGIDE AVOCATSCÎMES

Le 28 octobre 2020, le président de la République a décidé de prendre des mesures pour réduire à leur plus strict minimum les contacts et déplacements sur l’ensemble du territoire du 30 octobre au 1er décembre minimum.

Le Parlement venait de voter ce week-end la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, déclaré par décret sur l’ensemble du territoire national depuis le 17 octobre 2020, prorogeant jusqu’au 16 février 2021, soit pour une durée de trois mois, l’état d’urgence sanitaire.

Dans son avis du 20 octobre 2020, le Conseil d’État (n° 401419) estime que la possibilité d’instaurer un couvre-feu en interdisant les déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin devra être strictement proportionnée aux risques sanitaires encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu. Il indique également qu’il devra y être mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.

Le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire est lui prorogé jusqu’au 1er avril 2021.

Enfin, le texte comporte à nouveau plusieurs habilitations afin de permettre au gouvernement de prendre, par ordonnance, des mesures relevant du domaine de la loi pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19 sur la vie collective.

Pourtant, dans une tribune, publiée le 23 septembre 2020, une cinquantaine de juristes (professeurs de droit, magistrats et avocats) avaient examiné les décisions récentes du Conseil d’État et avaient discuté de façon critique la notion de proportionnalité, estimant que l’exagération permanente de la menace sanitaire (que démentirait l’examen précis des données sur la mortalité liée au covid) a déjà conduit et risque encore à tout moment de conduire à des mesures restrictives des libertés individuelles et collectives, en les contestant.

 

Dans ce contexte peu engageant, qu’en est-il de la prochaine saison d’hiver en montagne ?

Une campagne de communication importante est effectuée par tous les professionnels du secteur, qui font preuve d’adaptation, comme par exemple avec le lancement de la production de tours de cou/masques homologués,  (pour ceux qui veulent s’en procurer, c’est ici 😉).

 

Les risques des stations de ski en corrélation directe avec l’épidémie de Covid 19 sont doubles : il s’agit d’assurer la sécurité des usagers d’une part (1), mais aussi du personnel d’autre part (2).

 

1/ La protection des usagers :

A titre préalable, il convient de rappeler les principes normalement applicables en matière de responsabilité des intervenants au sein de sports de montagne.

Tout d’abord, l'exploitation des remontées mécaniques et des pistes de ski revêtant le caractère d'un service public industriel et commercial, les litiges qui opposent les skieurs, usagers du service, à l'exploitant relèvent du droit privé (art. L. 342-13 du Code du Tourisme).

En matière d’accident de ski, c’est souvent l’absence ou l'insuffisance d'une signalisation appropriée avertissant les skieurs de certains dangers, ou le défaut de protection contre ces dangers, qui est une source de responsabilité. Mais il s’agit de risques excédant les aléas normaux contre lesquels les intéressés doivent personnellement se prémunir, et la jurisprudence se livre souvent à une appréciation des faits de l’espèce, prenant en compte la nature de l'obstacle générateur du dommage ou encore le degré de difficulté que comporte la piste empruntée par la victime.

Du point de vue de la puissance publique (la commune en l’espèce), c'est le régime de la faute simple qui va trouver à s'appliquer. Ainsi, si un accident se déroule en dehors des pistes officiellement ouvertes aux skieurs, la responsabilité du maire de la commune concernée peut être engagée s’il s’abstient de signaler les dangers que rencontrent les skieurs « hors piste », si ce danger est « exceptionnel » (CE 22 déc. 1971, Cne de Mont-de-Lans ; CE 31 oct. 1990, Cne de Val-d'Isère c/ Mme de Germiny, CAA Lyon, 31 mai 1995, Cne de La Grave La Meije), « important » (CE 25 févr. 1976, Cne des Contamines-Montjoie) ou « particulier » (CE 27 sept. 1991, Cne de Pralognan-la-Vanoise c/ Épx Montastruc).

Là encore, le Maire devra prendre les mesures nécessaires pour informer le public mais aussi faire respecter les consignes sanitaires.

Une information précise et correctement diffusée (donc opposable car bien visible) devrait être suffisante pour éviter toute faute simple et donc mise en jeu de la responsabilité de la puissance publique (CAA Nantes, 30 mai 2002, Cne du Mont-Saint-Michel, req. no 98NT02114, CAA Nantes, 1er mars 1995, Viersou, req. no 93NT00477) puisque selon une jurisprudence classique, la collectivité communale supporte les conséquences dommageables du défaut de précautions prises par le maire afin de prévenir les risques. Cette responsabilité est fondée sur l’éventualité d’une défaillance des services municipaux dans la mise en place du dispositif de prévention ou de mesure de sécurité.

La crise sanitaire qui traverse aujourd’hui le monde est inédite mais la jurisprudence permet, par analogie encore aujourd’hui, d’appréhender les contours de la responsabilité de chacun.

Ainsi, lorsque des usagers vont skier en montagne, deux types de responsabilités sont susceptibles d’être encourus : celle du cocontractant (domaine skiable/remontées mécaniques, loueur de matériel, transporteur, restaurateur, hôtelier…) et celle de la puissance publique (maire de la commune concernée).

Il apparait donc que va peser sur chaque intervenant l’obligation de mettre en place une signalétique claire, reprenant évidemment les préconisations actuelles en matière de santé publique, et de s’assurer du respect des mesures mises en place (par exemple, interdiction d’emprunter la remontée mécanique à défaut de port du masque homologué, arrêté municipal sur le port du masque…).

Et à côtés des usagers, il y a aussi les employés.

 

2/ Les employés des professionnels en première ligne :

Comme pour tout employeur, la responsabilité pénale du professionnel de la montagne (domaines skiables, remontées mécaniques, restaurateurs…) est susceptible d'être mise en cause en cas d'exposition au Covid-19 sur le lieu de travail, ou lorsque les mesures sanitaires sont inexistantes ou insuffisantes.

Coexistent deux bases légales :

1/ l'article  121-3 du code pénal qui incrimine les fautes non volontaires.

« il y a délit en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

Si la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 a précisé que, dans le cadre de la période de crise sanitaire, la mise en jeu de la responsabilité pénale de l'employeur sur la base de l'article  121-3 du code pénal doit « tenir compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions en tant que... employeur », cela ne permet pas d’atténuer la responsabilité de l'employeur puisque les juges tiennent toujours compte des circonstances pour l’évaluer.

2/ l'article L. 4741-1 du code du travail qui incrimine « le fait pour l'employeur ou le préposé de méconnaître par sa faute personnelle les dispositions en matière de santé et sécurité au travail », ce qui sera le cas si l'employeur n'a pas de mesures de prévention suffisantes pour assurer la protection de la santé de ses salariés.

Par contre, il devrait être plus compliqué d'incriminer l'employeur sur le terrain du délit de mise en danger d'autrui (article  223-1 du code pénal qui dispose : « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement »). En effet, les éléments constitutifs de l’infraction ne seront réunis que dans les cas :

      • de « violation d'une obligation de prudence et sécurité imposée par la loi ou le règlement » ; mais ce peut être le cas si les règles de distanciation sociale ou de réunion instaurées par décret n'ont pas été respectées ;

      • de « violation manifestement délibérée ». Il serait alors nécessaire de prouver la volonté de l'employeur de ne pas respecter l'obligation légale ou réglementaire. Or, dès lors que l'employeur aura bien mis en place les mesures sanitaires préconisées, l'élément intentionnel devra être écarté.

 

Et l’harmonisation européenne dans tout ça ?

À la différence des États membres qui la composent, l'Union européenne exerce uniquement les compétences qui lui sont attribuées par le traité et elle ne dispose ainsi que d'une compétence complémentaire en matière de protection et d'amélioration de la santé humaine.

Les institutions de l'Union n’ont donc pas la possibilité d'adopter des actes juridiques imposant aux États membres de prendre des mesures substantielles en vue de faire face à la crise sanitaire. C’est aussi ce qui explique que d'un État membre à l'autre, les mesures ont été différentes, que ce soit pour le confinement, les équipements de protection ou encore les statistiques relatives à la progression de l'épidémie.

Faisant écho à la tribune publiée en septembre et citée ci-avant, chacun aura pu constater les implications de la crise du covid-19 sur les rapports entre l'individu et le pouvoir et, surtout, sur la liberté et la sécurité, dans un État de droit démocratique. Car à des degrés variables selon les États, un renversement est apparu : d'exception, la restriction est devenue principe, limitant les droits des individus.

 

En conclusion, et malgré les restrictions applicables à ce jour, les professionnels de la montagne paraissent avoir parfaitement anticipé les mesures nécessaires pour permettre aux usagers de profiter pleinement du grand air et des sports de glisse cet hiver, nécessaires tant à la bonne santé des usagers (la pratique du sport et l’exposition au soleil renforçant le système immunitaire) qu'à l’économie locale.

 

N.B.: Pour illustrer cet article, et garder le sourire, c'est une photographie du Bagnard Justin Murisier (prise ici).

L'auteur

Stéphanie BAUDOT

Avocat associé - Barreau de ALBERTVILLE - Barreau de EVRY/ESSONNE

DROIT CIVIL, DROIT DES CONTRATS, DROIT DE LA CONSTRUCTION, DROIT RURAL, DROIT DE LA COPROPRIETE, DROIT DE L'URBANISME, DROIT DU SPORT, DROIT IMMOBILIER


Spécialiste en :
  • Droit immobilier
EGIDE AVOCATSCÎMES

6, rue Léontine Vibert, ALBERTVILLE 73200

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